Post by jzAvec plaisir... encore que Paris, bof, c'est que c'est un peu un trou
paumé où il n'y a pas grand chose d'intéressant à faire entre les
bouchons... mais on pourra se faire un petit débat "centralisme et
parisianisme", ça au moins ce n'est pas du tout un sujet polémique :)
Amicalement,
Jacques
Reconnaissons-le, la tendance littéraire du moment est à l'étalage
impudique, au déballage intime. Ce qui est admirable, mais conduit à brider
un peu l'élan narratif de tous ceux, qui comme moi hélas, n'ont pas encore
eu l'occasion de se faire lutiner dans les lieux les plus variés par une
équipe de rugby au grand complet, une colonne d'infanterie ou un défilé de
premier mai toutes tendances syndicales confondues. Aussi me faut-il trouver
à confesser à mon tour quelque vice pour intéresser le lecteur. Je vais vous
faire un aveu dont l'indécence me permettra de rivaliser je l'espère, avec
tout ce que l'édition compte de plumitifs dévergondés. Je vais vous révéler
un secret. De ceux qu'il faudrait cacher toute une vie et ne livrer qu'à
l'instant du gargouillis ultime et du râle terminal, quelque part entre
l'extrême-onction et la bière (pas celle qui pétille et rend joyeux, non
l'autre).
Au risque de ne plus rien avoir de passionnant à confesser le moment venu,
me voici obligé pour faire l'intéressant, d'anticiper sur mon agonie. Alors
voilà je l'avoue, je suis un provincial. Je sais, c'est sans doute glauque,
mais il n'était peut-être pas nécessaire de vous enfuir avec tant de
précipitation. Vous pouvez revenir maintenant, ça n'est pas contagieux.
Quoique à l'état rudimentaire ou végétatif, existent passé le périphérique
parisien, des formes de vie parmi lesquelles compte le provincial. Un être
qui n'est pas, comme on pourrait le croire au premier abord, une hypothèse
de recenseur, mais une réalité. Je sais c'est difficile à envisager.
Au point où j'en suis de mes abominables révélations, je vais pousser
l'abjection jusqu'aux limites du supportable : je suis un provincial point
trop malheureux de l'être.
Pour me racheter, il m'arrive assez fréquemment de, " monter " comme on dit,
à Paris. Ce que je fais aidé d'un billet de chemin de fer, mû par cet
instinct aventureux qui distingue à coup sûr l'homme de la pantoufle et qui
jadis - souvent conjugué avec le désir de mettre le plus de mètres cubes
d'eau salée possible entre eux et une épouse acariâtre, une justice par trop
curieuse ou des créanciers un peu pressés - poussa nombre de hardis
navigateurs à aller constater au loin, si les confins d'ailleurs se
rejoignaient bien nulle part comme d'aucuns l'avançaient.
J'aime Paris. Comment pourrait-il en être autrement ? C'est le seul endroit
de France et même de Navarre où, par une alchimie qui m'étonnera toujours,
je me métamorphose en promeneur insouciant. J'aime muser le nez au vent,
baguenauder, badauder ici ou là et surtout contempler la tour Eiffel.
Un exercice qui par un heureux concours de circonstances, se fait bien mieux
à Paris que dans n'importe quelle autre ville. Je le sais, j'ai déjà essayé
de le faire ailleurs. Sans grand résultat.
On ne dira jamais assez à quel point le reste du monde est tragiquement
dépourvu de tour Eiffel, qui est pourtant utile et même, il faut le dire,
indispensable. Songez un instant à tous ces gens voués à l'ennui le plus
profond ou une oisiveté génératrice de neurasthénie, s'ils n'avaient la
possibilité de combler le vide de leur existence à la reproduire avec des
allumettes, des os de seiche, des bâtonnets d'eskimo ou des cure-dents. Vous
me direz qu'ils pourraient à la place, portraiturer ainsi le pont de
Tancarville, Notre-Dame de Paris ou le Mont-Saint-Michel. C'est vrai, mais
aucun de ces monuments ne magnifie aussi bien que la tour Eiffel, cet humble
matériau qu'est l'allumette. Ou l'os de seiche.
Elle ne servirait qu'à cela, que l'on pourrait déjà la faire classer
monument d'intérêt général et thérapeutique. Mais on ne peut ignorer à quel
point, sa représentation en plastique doré montée sur socle en époxy presque
véritable, lorsqu'elle trône en bonne place sur la poutre de cheminée, entre
le coq qui change de couleur en fonction du temps qu'il fait et le napperon
en authentique dentelle de Calais chinoise, dénote un goût très sûr et une
passion indiscutable pour les lointains voyages.
Un prestige que jamais n'atteindront le Sacré-Cour dans une boule en verre
pleine de fausse neige ou l'arc de triomphe de l'Étoile en pierre
reconstituée. Blasés, habitués à son existence, faisant partie d'un paysage
familier que l'on ne remarque plus, je suis certain que peu de Parisiens
songent à tout cela quand il leur arrive de regarder la tour Eiffel. Et
c'est bien dommage si vous voulez mon avis.
A Paris j'y ai vu lors de mon dernier voyage, en plus de la tour de ce bon
monsieur Eiffel et entre autres merveilles, une boutique de traiteur dont le
patron s'enorgueillissait du titre de champion de France du pâté de tête.
Une distinction, un honneur sans doute, attesté par une inscription
peinturlurée sur la devanture de l'échoppe, en lettres flamboyantes de 20
centimètres de hauteur.
Ça m'a fait chaud au cour.
Nous savons tous ce que l'on pense hors nos frontières de la France et des
Français. Nous savons bien ce que des étrangers, poussant l'outrecuidance
jusqu'à s'exprimer dans d'autres langues que la nôtre, volontairement
incompréhensibles, disent à notre sujet. Nous sommes des rigolos, des
grévistes compulsifs tout juste bons - quand par miracle il nous arrive de
travailler - à fabriquer des fromages ou du parfum et dont le seul
porte-avions nucléaire est incapable de se déplacer sans perdre ses hélices.
A tous ces fielleux, je répondrai qu'un pays qui organise des championnats
de pâté de tête n'a de leçons à recevoir de personne.
Il y a tout de même quelque chose qui m'intrigue. Les Parisiens seraient-ils
pourvus d'une caractéristique physique ou d'une sorte de phosphorescence
perceptible à leurs seuls yeux ? Quelque chose d'invisible au visiteur de
passage leur permettrait-il de se reconnaître au premier regard et par là
même de différencier l'intrus ? Ou alors une inscription au fer rouge au
beau milieu du front, à moins qu'il ne s'agisse d'une enseigne au néon me
surmontant, signaleraient-elles alentour ma qualité de provincial ?
Pour farfelue que puisse paraître cette hypothèse, je n'en suis pas moins
convaincu de sa justesse. Comment expliquer autrement, la sollicitude que
témoignent au provincial, ces professionnels rompus à la psychologie du
chaland que sont, pour ne citer qu'eux, les garçons de café, les guichetiers
de la RATP et les chauffeurs de taxi, mais semble s'exercer envers
l'autochtone avec une parcimonie confinant à la rareté.
Je suis par dessus tout, très ému de l'intérêt dont m'honorent les
chauffeurs de taxi. Je ne peux prendre un taxi de nuit, sans que son
chauffard ne tente aussitôt de me démontrer sa virtuosité, à grands renforts
de départs canon amenant quiconque se trouve aux abords immédiats du bolide,
à se suspendre précipitamment au premier poteau de signalisation venu pour
échapper à une mort aussi certaine qu'atroce, ou de parcours auprès desquels
passeraient pour des courses de voitures à pédales, les plus célèbres
morceaux de bravoure automobile cinématographique.
C'est lorsqu'on me jette au visage mes tickets de métro, ou mon café, que
j'émerge les genoux en fromage blanc d'un cercueil à quatre roues enfin
immobile, que je me souviens de cette phrase, qui autrefois avec comment
vas-tu yau de poêle et, comme tu vois ture à bras, composaient le vade-mecum
humoristique de l'honnête homme tenant à briller en société de manière
discrète mais raffinée : parigot tête de veau.
On se venge comme on peut.
MachiN