Sam
2005-02-01 07:35:39 UTC
Bonjour à tous.
J'ai parlé rapidement (cf C&E N°6) de Julien l'Apostat, en disant que
j'allais y revenir, ce que je fais cette semaine. Sur la page :
http://www.christianisme.ch/christianisme.htm
Enrico Riboni donne sa version personnelle de la mort de l'empereur Julien
l'Apostat, commanditée, selon lui, par Saint Athanase :
<< Sans attendre l'intervention de la force publique, Athanase se retire
dans le désert, se cache chez de moines, et prophétise la mort de
l'Empereur:"Le Charpentier (=Jésus) prépare un cercueil (pour Julien)"
annonce-t-il aux foules de fanatiques qui viennent l'écouter prêcher dans le
désert. Mais Athanase est un homme intelligent, qui sait qu'il faut parfois
des actions concrètes pour aider à réaliser des prophéties. Il promet la
gloire éternelle, la rémission de tous ses péchés et toutes les joies du
Paradis à un soldat chrétien qui allait accompagner l'empereur dans sa
grande expédition en Mésopotamie. Le 26 juin 363, lors de la bataille
décisive contre les Perses, il assassine Julien avec une lance dans le dos.
On dit que Julien, mourant, aurait lancé au ciel quelques gouttes de son
sang en s'écriant : "Tu as vaincu, Galiléen !". Sans doute ces propos
sont-ils légendaires, mais Julien a peut-être réellement eu une telle pensée
au moment où il s'effondrait et mourrait frappé dans le dos par un traître,
pour cause de tolérance religieuse. >>
Bravo professeur Riboni ! Ca au moins, c'est un mensonge intelligent,
efficace, productif. Il permet :
1) D'accuser un chrétien d'avoir commandité un crime
2) D'accuser un autre chrétien de l'avoir perpétré
3) D'accuser des chrétiens de ne pas respecter le précepte de Saint Paul
("Je recommande donc, avant tout, qu'on fasse des demandes, des prières, des
supplications, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et
tous les dépositaires de l'autorité, afin que nous puissions mener une vie
calme et paisible en toute piété et dignité." - 1Tim 2,1-2)
4) De faire passer Julien pour un martyr
5) De nier qu'une prophétie chrétienne ait pu se réaliser.
C'est beaucoup pour un seul mensonge.
Parmi les témoins du drame, se trouvait l'historien Ammien Marcellin, ami
personnel de l'empereur Julien. Il écrit dans ses "Histoires" :
<< Mais tandis que l'empereur se multipliait au premier rang de la mêlée,
nos troupes légères bondirent hors des rangs et se mirent à tailler jarrets
et croupières aux Perses et à leurs monstres qui avaient fait volte face. Au
moment où Julien, oublieux de toute précaution, se précipitait témérairement
au combat en levant les bras, et à grands cris, pour bien faire entendre que
c'étaient la débâcle et la panique chez l'ennemi, et pour exciter ainsi la
fureur des poursuivants, ses gardes blancs dispersés par l'effroi lui
criaient de tous côtés d'éviter la masse des fuyards comme on fait pour
l'écroulement incertain d'un toit qui menace ruine ; mais soudain, une lance
de cavalerie égratigna la peau de son bras, lui transperça les côtes, et se
ficha dans le lobe inférieur du foie. Il tentait de l'arracher de sa main
droite, quand il sentit les muscles de ses doigts coupés par le double
tranchant du fer ; roulant à bas de sa monture, il fut ramené au camp par
les témoins du drame précipitamment accourus, et reçut les soins de la
médecine.
Peu après, l'assoupissement momentané de la douleur ayant suspendu ses
craintes, en luttant avec grandeur d'âme contre le trépas il réclama son
armure et son cheval, pour retourner au combat, rendre ainsi confiance aux
siens, et leur faire bien voir que, sans souci pour lui même, il ne se
sentait gravement étreint que par l'inquiétude du salut d'autrui : telle
l'énergie, dans une affaire sans doute bien peu comparable, avec laquelle
Epaminondas, ce fameux général, mortellement blessé à Mantinée et ramené
loin de la ligne de bataille, cherchait avec une sollicitude inquiète son
bouclier ; puis, tout joyeux de le voir à portée, il trépassa sous la
violence de sa blessure : ainsi, celui qui perdait la vie sans trembler ne
redouta que d'avoir perdu son bouclier. Mais, la volonté trahie par ses
forces défaillantes, épuisé par l'hémorragie, Julien demeura immobile, se
voyant enlevé tout espoir de survivre quand il eut appris, en réponse à sa
question, que l'endroit où il était tombé s'appelait Phrygie ; car il avait
entendu dire que son sort le prédestinait à mourir en ce lieu.
Quand on eut ramené l'empereur au campement, on ne saurait dire avec quelle
incroyable ardeur les légionnaires, tout bouillants de colère et de douleur,
volèrent à sa vengeance, en heurtant leurs lances contre leurs boucliers,
opiniâtres jusqu'à la mort même, si tel devait être leur destin. Les hautes
colonnes de poussière avaient beau les aveugler, la chaleur croissante
entraver l'agilité de leurs membres, ils ne s'en ruèrent pas moins contre le
fer sans aucun ménagement, comme s'ils avaient été déliés de leurs
engagements par la perte de leur chef. >> (Ammien Marcellin "Histoires"
XXV,III,5-10 pp.175-177 dans l'éditions des Belles Lettres)
Le texte est clair : Julien a été touché au foie, et non de dos, comme
l'affirme Riboni. Julien faisait face à l'ennemi ("se précipitait
témérairement au combat"). De plus, les soldats ne s'y trompent pas,
puisqu'ils vont charger les Perses, et non un misérable traître caché dans
la masse des soldats romains. Julien reste conscient, et à aucun moment ne
les incitent à rechercher un quelconque traître. Le seul traître dans cette
affaire, c'est celui qui trahit les textes, Enrico Riboni.
Plus loin (XXV,III,15-23), Ammien Marcellin décrit l'agonie de Julien,
pendant laquelle il discourt sur l'immortalité de l'âme, dicte ses dernières
volontés, et distribue ses biens. Il était parfaitement conscient, n'accuse
personne, et accepte son destin. Julien est mort vers minuit, et il est
clair qu'il aurait eu tout le temps de s'exprimer, s'il avait pensé avoir
été touché par un de ses hommes.
Julien était adoré par ses hommes, et jamais ils n'auraient laissé impuni un
crime commis par un chrétien, eux qui étaient pour la plupart, païens comme
leur empereur.
Riboni ne le dit pas, pas plus que le site vers lequel il renvoie, mais
voici quelles ont été les manipulations des historiens révisionnistes athées
bâtés, pour accuser les chrétiens du "meurtre" de Julien :
1) Le mot "incertam" (incertain), dans la phrase "comme on fait pour
l'écroulement incertain d'un toit qui menace ruine", a parfois été lu
"incertum", ce qui le rapporte à "unde" (d'où), au lieu de le rapporter à
"ruinam" (ruine, écroulement).
Le commentaire de Jacques Fontaine dans le tome IV des histoires d'Ammien
Marcellin (2ème partie pp.213,214) donne de nombreux arguments allant contre
cette lecture. Fontaine donne notamment 3 exemples chez Ammien Marcellin
d'un emploi comparable concernant la chute d'un portique (23,2,6), d'une
meule (23,2,8) et la description d'un tremblement de terre (17,7). De plus,
même si "incertu/am se rapporter à "unde", et si Ammien Marcellin avait
voulu écrire "un javelot venu d'on ne sait où", en aucun cas cela ne
permettrait d'accuser un soldat romain, et encore moins un chrétien.
Cela n'élimine pas non plus la possibilité d'un accident.
Si Ammien Marcellin avait cru à un javelot lancé depuis les lignes romaines,
il l'aurait écrit.
De plus, il ne faut pas croire qu'un soldat romain, chrétien ou non, pouvait
se balader sur le champ de bataille à son aise, tuer son empereur, et
revenir se ranger dans sa manipule. C'était déjà bien assez risqué pour un
soldat français de 14-18, à bout de nerfs, de tuer son officier sans se
faire remarquer, en lui tirant dessus au fusil pendant une attaque, mais
pour un soldat romain revenant sans sa lance, c'est plus difficilement
acceptable.
Il y a encore plus grave : "incertum" pourrait se rapporter à "unde", mais
ce mot n'est pas dans les manuscrits, et selon les tenants de "incertum", il
est sous-entendu. Or, l'expression "incertum unde" se retrouve souvent chez
Ammien Marcellin (16,8,3 ; 19,8,10 ; 24,2,4), AVEC le mot "unde".
2) Plus loin dans le texte (25,6,5) Ammien Marcellin parle de "bruits"
concernant la mort de Julien, provoquée par une main romaine. Seulement,
Ammien Marcellin qualifie ce bruit, avec le même adjectif de "rumeur
incertaine" "rumore (...) incerto". De plus, ce ne sont pas les chrétiens
qui sont accusés, mais le propre groupe de Ammien, qui était sur le champ de
bataille, à côté de l'empereur, rappelons-le, et ils lui sont adressés par
les Perses, au milieu d'autres insultes !
Mais le plus important, et qui infirme totalement ces deux arguments
capillo-tractés, c'est TOUT le reste du texte d'Ammien Marcellin, qui
n'évoque jamais aucune accusation contre les chrétiens, lui le païen qui
suivait Julien dans toutes ses campagnes et qui l'aimait.
Un autre historien romain, Zosime, qui fut Comte du Palais sous Théodose II
et ses successeurs, confirme l'attachement des soldats pour Julien. Dans le
livre III (je n'ai pas les versets dans l'édition que j'utilise, mais c'est
à la fin du livre) de son "Histoire Nouvelle", Zosime affirme que les
soldats en garnison à Sirmium, en entendant les trois messagers venus leur
annoncer la triste nouvelle, furent tellement bouleversés, qu'ils décidèrent
de les tuer. (L'un s'échappa, un autre fut tué, le troisième fut épargné
finalement, à cause de sa parenté avec Julien). La même mésaventure arriva,
c'est toujours Zosime qui nous l'apprend, au messager qui l'annonça aux
Carrhènes. Il fut lapidé.
Zosime est moins précis qu'Ammien Marcellin, puisqu'il affirme que Julien
reçut un coup d'épée. Mais cela montre aussi qu'il disposait d'une autre
source qu'Ammien Marcellin. Il ne précise pas non plus où exactement, mais
affirme que cela survint alors que Julien s'était "jeté au plus fort de la
mêlée".
Libanios, ami de Julien a écrit de nombreuses lettres sur la mort de
l'empereur, quoique souvent sans en faire de relation précise.
Dans "Lettres aux hommes de son temps" (titre moderne) éd. La Roue à
Livres/Documents - Les Belles Lettres, il y en a trois (à Entrékhios, à
Saloutios, à Thémistios) dans lesquelles il fait un vibrant éloge du
disparu. Mais jamais il ne laisse supposer qu'il est mort autrement que de
la main des Perses.
Dans la dernière de ces trois lettres, Libanios attaque ceux qui critiquent
l'éloge que son destinataire Thémistios a écrit à la mémoire de l'empereur
Julien, discours hélas perdu. Pourquoi Libanios n'en profite-t-il pas, lui
l'ami de Julien, pour dénoncer le crime chrétien, si crime il y a ? D'autant
plus que Thémistios partage ses vues, et qu'il s'agit d'une correspondance
privée.
Un écrit de Libanios (que je ne connais pas, mais qui ne semble pas venir
des discours de Libanios à la gloire de Julien) a été cité par Sozomène
(VI,1,2 in "Julien l'Apostat" de Giuseppe Ricciotti éd. Arthème Fayard 1959
p. 300) et qui accuserait de manière voilée, sans les nommer, les chrétiens.
Mais Sozomène cite d'autres scénarios colportés à l'époque : un Perse, un
Sarrazin, et un Romain démoralisé étaient accusés aussi.
De plus, et cela montre bien la vacuité de l'accusation de Riboni et de
Libanios (encore que ce dernier ne mentionne jamais explicitement un
chrétien), le SEUL argument avancé par Libanios, d'après Sozomène, est
qu'aucun Perse n'est venu chercher la récompense promise par son roi à tout
soldat qui blesserait Julien.
Cet argument est grotesque, car Libanios ne savait certainement pas tout ce
qui se passait chez les Perses, et il y a toujours la possibilité que le
soldat perse ayant tué Julien soit mort, puisqu'il était en première ligne.
Par-dessus le marché, ce dernier scénario est probablement le bon, car
Philostroge raconte qu'un des gardes du corps de Julien, dès que celui-ci a
été blessé, s'est rué sur le soldat ayant blessé Julien, et l'a décapité
d'un seul coup. (idem pp. 300-301)
Ammien Marcellin, Zosime et Libanios étaient trois païens. Mais on pourrait
aussi citer Saint Jérôme, qui dans sa chronique (285ème olympiade) écrit :
"[Julien] tomba sur un cavalier ennemi, qui lui perça le flanc avec sa
lance"
Giuseppe Ricciotti cite d'autres auteurs, dont Eutrope, qui accuse un soldat
perse ou Philostorge et Théodoret, qui accusent un Sarrazin (idem p.300).
Quant à la phrase prêtée à Julien ("Tu as vaincu, Galiléen !"), elle ne peut
en rien servir à faire état des convictions de Julien, puisqu'il ne l'a pas
prononcée. C'est une invention de Théodoret et de Sozomène, tandis que
Philostorge et Eutichien citent la même phrase en remplaçant "Galiléen" par
"Hélios'. (idem p. 299)
On peut même dire que si les deux premiers, qui étaient chrétiens, avaient
pensé qu'un de leurs coreligionnaires avait été coupable du meurtre de
Julien, il aurait été pour le moins maladroit d'inventer cette phrase.
Je m'arrête là, car j'estime que les historiens de l'époque sont très
clairs, notamment Ammien Marcellin, témoin N°1, et que les seules
accusations portées contre les chrétiens viennent de témoins de 2ème ou de
3ème main, n'ayant aucun argument sérieux qui puisse donner corps à la
rumeur.
Je reviendrai néanmoins sur la personnalité de Julien. En effet, s'il fut un
philosophe sinon très profond, au moins très agréable à lire et très érudit,
ainsi qu'un grand chef de guerre, il n'en reste pas moins que le portrait
d'homme tolérant qu'en fait Riboni est pour le moins discutable.
J'ai parlé rapidement (cf C&E N°6) de Julien l'Apostat, en disant que
j'allais y revenir, ce que je fais cette semaine. Sur la page :
http://www.christianisme.ch/christianisme.htm
Enrico Riboni donne sa version personnelle de la mort de l'empereur Julien
l'Apostat, commanditée, selon lui, par Saint Athanase :
<< Sans attendre l'intervention de la force publique, Athanase se retire
dans le désert, se cache chez de moines, et prophétise la mort de
l'Empereur:"Le Charpentier (=Jésus) prépare un cercueil (pour Julien)"
annonce-t-il aux foules de fanatiques qui viennent l'écouter prêcher dans le
désert. Mais Athanase est un homme intelligent, qui sait qu'il faut parfois
des actions concrètes pour aider à réaliser des prophéties. Il promet la
gloire éternelle, la rémission de tous ses péchés et toutes les joies du
Paradis à un soldat chrétien qui allait accompagner l'empereur dans sa
grande expédition en Mésopotamie. Le 26 juin 363, lors de la bataille
décisive contre les Perses, il assassine Julien avec une lance dans le dos.
On dit que Julien, mourant, aurait lancé au ciel quelques gouttes de son
sang en s'écriant : "Tu as vaincu, Galiléen !". Sans doute ces propos
sont-ils légendaires, mais Julien a peut-être réellement eu une telle pensée
au moment où il s'effondrait et mourrait frappé dans le dos par un traître,
pour cause de tolérance religieuse. >>
Bravo professeur Riboni ! Ca au moins, c'est un mensonge intelligent,
efficace, productif. Il permet :
1) D'accuser un chrétien d'avoir commandité un crime
2) D'accuser un autre chrétien de l'avoir perpétré
3) D'accuser des chrétiens de ne pas respecter le précepte de Saint Paul
("Je recommande donc, avant tout, qu'on fasse des demandes, des prières, des
supplications, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et
tous les dépositaires de l'autorité, afin que nous puissions mener une vie
calme et paisible en toute piété et dignité." - 1Tim 2,1-2)
4) De faire passer Julien pour un martyr
5) De nier qu'une prophétie chrétienne ait pu se réaliser.
C'est beaucoup pour un seul mensonge.
Parmi les témoins du drame, se trouvait l'historien Ammien Marcellin, ami
personnel de l'empereur Julien. Il écrit dans ses "Histoires" :
<< Mais tandis que l'empereur se multipliait au premier rang de la mêlée,
nos troupes légères bondirent hors des rangs et se mirent à tailler jarrets
et croupières aux Perses et à leurs monstres qui avaient fait volte face. Au
moment où Julien, oublieux de toute précaution, se précipitait témérairement
au combat en levant les bras, et à grands cris, pour bien faire entendre que
c'étaient la débâcle et la panique chez l'ennemi, et pour exciter ainsi la
fureur des poursuivants, ses gardes blancs dispersés par l'effroi lui
criaient de tous côtés d'éviter la masse des fuyards comme on fait pour
l'écroulement incertain d'un toit qui menace ruine ; mais soudain, une lance
de cavalerie égratigna la peau de son bras, lui transperça les côtes, et se
ficha dans le lobe inférieur du foie. Il tentait de l'arracher de sa main
droite, quand il sentit les muscles de ses doigts coupés par le double
tranchant du fer ; roulant à bas de sa monture, il fut ramené au camp par
les témoins du drame précipitamment accourus, et reçut les soins de la
médecine.
Peu après, l'assoupissement momentané de la douleur ayant suspendu ses
craintes, en luttant avec grandeur d'âme contre le trépas il réclama son
armure et son cheval, pour retourner au combat, rendre ainsi confiance aux
siens, et leur faire bien voir que, sans souci pour lui même, il ne se
sentait gravement étreint que par l'inquiétude du salut d'autrui : telle
l'énergie, dans une affaire sans doute bien peu comparable, avec laquelle
Epaminondas, ce fameux général, mortellement blessé à Mantinée et ramené
loin de la ligne de bataille, cherchait avec une sollicitude inquiète son
bouclier ; puis, tout joyeux de le voir à portée, il trépassa sous la
violence de sa blessure : ainsi, celui qui perdait la vie sans trembler ne
redouta que d'avoir perdu son bouclier. Mais, la volonté trahie par ses
forces défaillantes, épuisé par l'hémorragie, Julien demeura immobile, se
voyant enlevé tout espoir de survivre quand il eut appris, en réponse à sa
question, que l'endroit où il était tombé s'appelait Phrygie ; car il avait
entendu dire que son sort le prédestinait à mourir en ce lieu.
Quand on eut ramené l'empereur au campement, on ne saurait dire avec quelle
incroyable ardeur les légionnaires, tout bouillants de colère et de douleur,
volèrent à sa vengeance, en heurtant leurs lances contre leurs boucliers,
opiniâtres jusqu'à la mort même, si tel devait être leur destin. Les hautes
colonnes de poussière avaient beau les aveugler, la chaleur croissante
entraver l'agilité de leurs membres, ils ne s'en ruèrent pas moins contre le
fer sans aucun ménagement, comme s'ils avaient été déliés de leurs
engagements par la perte de leur chef. >> (Ammien Marcellin "Histoires"
XXV,III,5-10 pp.175-177 dans l'éditions des Belles Lettres)
Le texte est clair : Julien a été touché au foie, et non de dos, comme
l'affirme Riboni. Julien faisait face à l'ennemi ("se précipitait
témérairement au combat"). De plus, les soldats ne s'y trompent pas,
puisqu'ils vont charger les Perses, et non un misérable traître caché dans
la masse des soldats romains. Julien reste conscient, et à aucun moment ne
les incitent à rechercher un quelconque traître. Le seul traître dans cette
affaire, c'est celui qui trahit les textes, Enrico Riboni.
Plus loin (XXV,III,15-23), Ammien Marcellin décrit l'agonie de Julien,
pendant laquelle il discourt sur l'immortalité de l'âme, dicte ses dernières
volontés, et distribue ses biens. Il était parfaitement conscient, n'accuse
personne, et accepte son destin. Julien est mort vers minuit, et il est
clair qu'il aurait eu tout le temps de s'exprimer, s'il avait pensé avoir
été touché par un de ses hommes.
Julien était adoré par ses hommes, et jamais ils n'auraient laissé impuni un
crime commis par un chrétien, eux qui étaient pour la plupart, païens comme
leur empereur.
Riboni ne le dit pas, pas plus que le site vers lequel il renvoie, mais
voici quelles ont été les manipulations des historiens révisionnistes athées
bâtés, pour accuser les chrétiens du "meurtre" de Julien :
1) Le mot "incertam" (incertain), dans la phrase "comme on fait pour
l'écroulement incertain d'un toit qui menace ruine", a parfois été lu
"incertum", ce qui le rapporte à "unde" (d'où), au lieu de le rapporter à
"ruinam" (ruine, écroulement).
Le commentaire de Jacques Fontaine dans le tome IV des histoires d'Ammien
Marcellin (2ème partie pp.213,214) donne de nombreux arguments allant contre
cette lecture. Fontaine donne notamment 3 exemples chez Ammien Marcellin
d'un emploi comparable concernant la chute d'un portique (23,2,6), d'une
meule (23,2,8) et la description d'un tremblement de terre (17,7). De plus,
même si "incertu/am se rapporter à "unde", et si Ammien Marcellin avait
voulu écrire "un javelot venu d'on ne sait où", en aucun cas cela ne
permettrait d'accuser un soldat romain, et encore moins un chrétien.
Cela n'élimine pas non plus la possibilité d'un accident.
Si Ammien Marcellin avait cru à un javelot lancé depuis les lignes romaines,
il l'aurait écrit.
De plus, il ne faut pas croire qu'un soldat romain, chrétien ou non, pouvait
se balader sur le champ de bataille à son aise, tuer son empereur, et
revenir se ranger dans sa manipule. C'était déjà bien assez risqué pour un
soldat français de 14-18, à bout de nerfs, de tuer son officier sans se
faire remarquer, en lui tirant dessus au fusil pendant une attaque, mais
pour un soldat romain revenant sans sa lance, c'est plus difficilement
acceptable.
Il y a encore plus grave : "incertum" pourrait se rapporter à "unde", mais
ce mot n'est pas dans les manuscrits, et selon les tenants de "incertum", il
est sous-entendu. Or, l'expression "incertum unde" se retrouve souvent chez
Ammien Marcellin (16,8,3 ; 19,8,10 ; 24,2,4), AVEC le mot "unde".
2) Plus loin dans le texte (25,6,5) Ammien Marcellin parle de "bruits"
concernant la mort de Julien, provoquée par une main romaine. Seulement,
Ammien Marcellin qualifie ce bruit, avec le même adjectif de "rumeur
incertaine" "rumore (...) incerto". De plus, ce ne sont pas les chrétiens
qui sont accusés, mais le propre groupe de Ammien, qui était sur le champ de
bataille, à côté de l'empereur, rappelons-le, et ils lui sont adressés par
les Perses, au milieu d'autres insultes !
Mais le plus important, et qui infirme totalement ces deux arguments
capillo-tractés, c'est TOUT le reste du texte d'Ammien Marcellin, qui
n'évoque jamais aucune accusation contre les chrétiens, lui le païen qui
suivait Julien dans toutes ses campagnes et qui l'aimait.
Un autre historien romain, Zosime, qui fut Comte du Palais sous Théodose II
et ses successeurs, confirme l'attachement des soldats pour Julien. Dans le
livre III (je n'ai pas les versets dans l'édition que j'utilise, mais c'est
à la fin du livre) de son "Histoire Nouvelle", Zosime affirme que les
soldats en garnison à Sirmium, en entendant les trois messagers venus leur
annoncer la triste nouvelle, furent tellement bouleversés, qu'ils décidèrent
de les tuer. (L'un s'échappa, un autre fut tué, le troisième fut épargné
finalement, à cause de sa parenté avec Julien). La même mésaventure arriva,
c'est toujours Zosime qui nous l'apprend, au messager qui l'annonça aux
Carrhènes. Il fut lapidé.
Zosime est moins précis qu'Ammien Marcellin, puisqu'il affirme que Julien
reçut un coup d'épée. Mais cela montre aussi qu'il disposait d'une autre
source qu'Ammien Marcellin. Il ne précise pas non plus où exactement, mais
affirme que cela survint alors que Julien s'était "jeté au plus fort de la
mêlée".
Libanios, ami de Julien a écrit de nombreuses lettres sur la mort de
l'empereur, quoique souvent sans en faire de relation précise.
Dans "Lettres aux hommes de son temps" (titre moderne) éd. La Roue à
Livres/Documents - Les Belles Lettres, il y en a trois (à Entrékhios, à
Saloutios, à Thémistios) dans lesquelles il fait un vibrant éloge du
disparu. Mais jamais il ne laisse supposer qu'il est mort autrement que de
la main des Perses.
Dans la dernière de ces trois lettres, Libanios attaque ceux qui critiquent
l'éloge que son destinataire Thémistios a écrit à la mémoire de l'empereur
Julien, discours hélas perdu. Pourquoi Libanios n'en profite-t-il pas, lui
l'ami de Julien, pour dénoncer le crime chrétien, si crime il y a ? D'autant
plus que Thémistios partage ses vues, et qu'il s'agit d'une correspondance
privée.
Un écrit de Libanios (que je ne connais pas, mais qui ne semble pas venir
des discours de Libanios à la gloire de Julien) a été cité par Sozomène
(VI,1,2 in "Julien l'Apostat" de Giuseppe Ricciotti éd. Arthème Fayard 1959
p. 300) et qui accuserait de manière voilée, sans les nommer, les chrétiens.
Mais Sozomène cite d'autres scénarios colportés à l'époque : un Perse, un
Sarrazin, et un Romain démoralisé étaient accusés aussi.
De plus, et cela montre bien la vacuité de l'accusation de Riboni et de
Libanios (encore que ce dernier ne mentionne jamais explicitement un
chrétien), le SEUL argument avancé par Libanios, d'après Sozomène, est
qu'aucun Perse n'est venu chercher la récompense promise par son roi à tout
soldat qui blesserait Julien.
Cet argument est grotesque, car Libanios ne savait certainement pas tout ce
qui se passait chez les Perses, et il y a toujours la possibilité que le
soldat perse ayant tué Julien soit mort, puisqu'il était en première ligne.
Par-dessus le marché, ce dernier scénario est probablement le bon, car
Philostroge raconte qu'un des gardes du corps de Julien, dès que celui-ci a
été blessé, s'est rué sur le soldat ayant blessé Julien, et l'a décapité
d'un seul coup. (idem pp. 300-301)
Ammien Marcellin, Zosime et Libanios étaient trois païens. Mais on pourrait
aussi citer Saint Jérôme, qui dans sa chronique (285ème olympiade) écrit :
"[Julien] tomba sur un cavalier ennemi, qui lui perça le flanc avec sa
lance"
Giuseppe Ricciotti cite d'autres auteurs, dont Eutrope, qui accuse un soldat
perse ou Philostorge et Théodoret, qui accusent un Sarrazin (idem p.300).
Quant à la phrase prêtée à Julien ("Tu as vaincu, Galiléen !"), elle ne peut
en rien servir à faire état des convictions de Julien, puisqu'il ne l'a pas
prononcée. C'est une invention de Théodoret et de Sozomène, tandis que
Philostorge et Eutichien citent la même phrase en remplaçant "Galiléen" par
"Hélios'. (idem p. 299)
On peut même dire que si les deux premiers, qui étaient chrétiens, avaient
pensé qu'un de leurs coreligionnaires avait été coupable du meurtre de
Julien, il aurait été pour le moins maladroit d'inventer cette phrase.
Je m'arrête là, car j'estime que les historiens de l'époque sont très
clairs, notamment Ammien Marcellin, témoin N°1, et que les seules
accusations portées contre les chrétiens viennent de témoins de 2ème ou de
3ème main, n'ayant aucun argument sérieux qui puisse donner corps à la
rumeur.
Je reviendrai néanmoins sur la personnalité de Julien. En effet, s'il fut un
philosophe sinon très profond, au moins très agréable à lire et très érudit,
ainsi qu'un grand chef de guerre, il n'en reste pas moins que le portrait
d'homme tolérant qu'en fait Riboni est pour le moins discutable.