Khat Tsang Huit Phe Zho
2015-07-25 18:13:33 UTC
reçu par mail
L’Europe de Jean Monnet est morte.
L’Europe de Jean Monnet est morte. Elle est passée de
vie à trépas dans la nuit du 12 au 13 juillet 2015. Je le répète,
puisque personne ne semble le savoir : l’Europe de Jean Monnet n’est
plus qu’un cadavre.
Il est donc fini, le temps où les fédéralistes
européens pouvaient affirmer que, grâce aux principes posés par leur
maître, nos nations ne cessaient de progresser vers « une union de plus
en plus étroite ». Fini le processus qui devait « créer un espace
européen de paix, de démocratie et de prospérité ». Finie l’ambition de
« promouvoir le bien-être de tous les peuples » de l’Europe. Il n’en
reste que des mots vides de toute réalité.
Comment une œuvre qu’on proclamait impérissable,
a-t-elle pu disparaître aussi soudainement ? La réponse est simple :
l’organisme dont la tête est à Bruxelles a été empoisonné. Et le plus
étonnant, c’est que « l’Union européenne » s’est administrée elle-même
le poison mortel. Il s’appelle l’euro.
A vrai dire, ceux qui auscultaient attentivement la
santé de l’Union, la savaient malade depuis longtemps, précisément
depuis qu’elle avait commencé d’introduire l’euro dans ses aliments.
Mais personne, moi compris, n’avait prévu une fin aussi bizarre, aussi
caricaturale, que celle qui s’est produite la semaine passée. Pour en
saisir le caractère paradoxal, je propose au lecteur d’examiner ce qu’a
été l’existence de l’Union depuis qu’elle s’est adonnée aux plaisirs
délétères de la monnaie unique.
L’euro a son origine dans le traité de Maastricht
(1992). Son père s’appelle François Mitterrand. Dans l’esprit du
Président français de l’époque, la nouvelle monnaie était un instrument
de politique étrangère : elle devait attacher l’Allemagne tout juste
réunifiée à la France :elle enserrerait le géant germanique dans des
liens juridiques et financiers si étroits qu’il ne pourrait plus jamais
les défaire.
La crainte inavouée de Mitterrand – celle d’une
Allemagne cherchant son destin dans un jeu de bascule entre la Russie et
l’Amérique- était mal fondée et sa parade peu crédible : on ne ligote
pas un grand peuple par le papier d’un traité ni par des procédures
monétaires. Mais elle méritait un débat politique. Il n’eut jamais lieu.
L’idée de monnaie unique fut immédiatement reprise par les disciples de
Jean Monnet et détournée de son but. Ils en firent une fin en soi. Ils
l’entourèrent d’un culte intransigeant. Sa venue serait, selon eux, un
acte historique qui marquerait l’entrée de l’Europe dans une ère de
paix, de démocratie et de prospérité, dresserait un bouclier
impénétrable contre les assauts du reste du monde et attacherait
définitivement nos vieilles nations les unes aux autres dans une unité
fraternelle. Ils proclamèrent que l’Europe ne reviendrait jamais sur un
pas en avant aussi décisif et que le traité de Maastricht n’avait donc
pas besoin de clauses de dissolution. Parmi les nombreux prophètes de
cet accomplissement de l’histoire européenne, citons Michel Rocard : «
Maastricht constitue (sic) les trois clés de l’avenir :il ouvre d’abord
sur plus de prospérité et plus d’emploi, ensuite sur plus de sécurité et
enfin sur plus de démocratie en Europe ». Je ne veux pas fatiguer le
lecteur en lui infligeant les propos non moins grandiloquents tenus en
1992 par nos dirigeants actuels, Sarkozy et Juppé, Fabius et Sapin par
exemple. Il reste à indiquer que c’est par ce genre de promesses que nos
responsables politiques arrachèrent au peuple français un consentement
réticent à l’euro (51% des suffrages).
Les institutions de Bruxelles, enthousiasmées par un
projet qui allait leur donner un pouvoir accru, le prirent alors en
mains. La Commission prépara de nouvelles directives et le Parlement
européen multiplia les « résolutions ». « Les Etats membres doivent
réunir au plus vite les conditions de création d’une union monétaire »
proclama ce dernier. Il rappela à ceux qui avaient des doutes, que « les
effets bénéfiques de l’union monétaire sur la croissance économique et
sur l’emploi seraient substantielles pour tous les Etats membres ». Je
peux attester que les rédacteurs de cette affirmation extravagante
étaient sincères.
L’enthousiasme bruxellois était si grand et les
certitudes des disciples de Jean Monnet si enracinées, que les timides
objections qui leur étaient présentées, furent balayées comme des
incongruités. J’ai participé à des commissions parlementaires qui
auditionnaient des spécialistes de la monnaie. La démonstration négative
de l’un cachait, disaient les partisans de Maastricht, la jalousie des
milieux financiers anglo-saxons ; les avertissements d’un autre, son
nationalisme dépassé ; les réserves d’un troisième, son ignorance
foncière. La principale critique qui était faite à l’euro, peut être
résumée en deux phrases : il allait placer des nations dont les vies
économiques et sociales différaient profondément, sous les décisions
uniformes d’un pouvoir monétaire centralisé. Il en résulterait
inévitablement des distorsions lesquelles aboutiraient à des tensions
insupportables. La Commission européenne, agacée, comprit qu’il ne
suffisait pas de déconsidérer les détracteurs de l’euro. Elle leur
opposa une autre théorie « scientifique » : la monnaie unique,
publia-t-elle, loin de créer des distorsions entre pays européens, sera
au contraire un facteur irrésistible de « convergence » économique et
sociale. Grâce à elle, la Grèce et l’Allemagne, la France et le
Danemark, le Portugal et la Finlande atteindront rapidement le même
niveau de vie, le même taux d’emploi, la même prospérité. L’Europe
allait s’unifier par le haut.
C’est sur toutes ces prévisions et promesses que
le projet de l’euro fut mis en oeuvre. Il me paraît indispensable de les
rappeler parce que la validité d’une politique se juge par comparaison
entre les intentions et les résultats.
Les institutions de Bruxelles, emportées par leur
élan, décrétèrent que l’adoption de l’euro était obligatoire pour tous
les Etats membres de l’Union. Quatre d’entre eux regimbèrent : la Grande
Bretagne, la Suède, le Danemark et la Grèce. La première était trop
puissante pour que la Commission pût la faire plier. Elle obtint la
dérogation qu’elle demandait (opt-out). La seconde, après avoir
longtemps traîné les pieds, finit par s’abriter derrière le résultat
négatif d’un référendum populaire (2003) pour ne pas donner son
adhésion. Le Danemark se contenta d’un compromis : il conserva sa
monnaie nationale mais l’accrocha irrévocablement à l’euro. La Grèce
était trop faible pour se voir accorder un traitement particulier.
Sommée d’adhérer « dans les meilleurs délais et ce, dans son propre
intérêt », elle s’inclina. Elle passa sous les fourches caudines des « 4
critères » auxquels tout candidat à la monnaie unique devait
satisfaire. Elle le fit avec tant de bonne grâce que le Conseil européen
tint à « féliciter la Grèce pour les résultats qu’elle a obtenus grâce à
une politique économique et financière saine » (3 mai 2000). Je rappelle
ces faits pour réfuter la légende, trop répandue aujourd’hui, d’une
Grèce si désireuse d’entrer dans la zone euro qu’elle en a forcé la
porte en truquant ses comptes publics.
Que se passa-t-il alors ? L’inévitable. Ni la
pensée de Jean Monnet, ni les décisions de la Banque centrale
européenne, ni la surveillance tatillonne de la Commission ne purent
empêcher que la Grèce demeurât une nation des Balkans, dont la
prospérité dépend beaucoup plus de ses relations avec ses voisins que de
ses liens avec le lointain Bruxelles. Son premier client est la Turquie
et son premier fournisseur, la Russie. L’Allemagne est son seul
partenaire européen de quelque importance. Encore faut-il préciser
qu’elle ne vend à Athènes que certains produits industriels et ne lui
achète à peu près rien. L’euro convient donc mal à la Grèce ; il l’isole
de son milieu naturel. Le gouvernement grec ne tarda pas à prendre
conscience du malaise économique qui en résultait. Mais, à la manière
des faibles, il n’osa pas affronter une réalité trop dure. Il choisit de
biaiser. C’est alors qu’il commença de manipuler les « 4 critères » de
conformité aux règles de la zone euro. On dit aujourd’hui que les
institutions européennes ont découvert avec stupeur, en 2010, les
tricheries grecques. C’est faux. Dès 2005, la Commission de Bruxelles se
plaignait de l’obscurité et de l’approximation des comptes publics
hellènes. Mais, sur le moment, personne n’y a attaché de l’importance.
Il y avait une raison à l’indifférence des
disciples de Jean Monnet. Pendant les sept années qui suivirent
l’introduction de l’euro (2000-2008), la réalisation de leur rêve les
avait plongés dans un état d’euphorie tel qu’ils écartèrent toutes les
nouvelles qui contrariaient leurs prédictions. Une vague de dépenses
effrénées s’étendit sur l’Europe. Aux observateurs qui gardaient la tête
froide, la croissance économique qui s’ensuivit semblait trop
artificielle pour durer. Mais, à Bruxelles et à Francfort, on choisit
d’y voir une manifestation éclatante de la prospérité annoncée.
Soudain, en 2009, une violente tempête
financière secoua la zone euro. Alors l’impensable se produisit. La
terre promise, qui semblait presque atteinte, s’évanouit comme un
mirage. Les peuples européens, stupéfaits, découvrirent un paysage tout
autre que celui décrit par les disciples de Jean Monnet. Il était sombre
et sans perspectives. Au lieu de prospérité partagée, un appauvrissement
qui frappait inégalement les peuples ; à la place d’une croissance
régulière de l’emploi, un chômage massif, particulièrement cruel aux
jeunes ; et plus encore que ces faits désastreux, la « convergence »
s’était évaporée. Une nation et une seule s’enrichissait de
l’affaiblissement de toutes les autres. C’était l’Allemagne. Le dogme
central de l’euro, si hautement proclamé par la Commission de Bruxelles
et repris par la Banque centrale européenne, était faux. Aucune des
prophéties avancées par les adeptes de la monnaie unique n’a été plus
brutalement démentie par les évènements que celle là.
La Grèce, si éloignée de Bruxelles, si isolée,
fut évidemment la victime la plus pitoyable de la chute de l’utopie.
Nulle part dans l’Union européenne, le chômage ne devint plus étendu,
l’activité plus ralentie, la divergence avec la puissante Allemagne plus
béante. Il est naturel que les appels au secours les plus désespérés
soient venus d’elle.
On aurait pu penser que les disciples de Jean
Monnet, remis de leur ivresse, prendraient les mesures réalistes qui
s’imposaient, dût leur doctrine en souffrir. Ils préférèrent s’accrocher
à leur rêve. « L’euro, c’est l’Europe et l’Europe, c’est l’euro »
affirmèrent d’une même voix Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Le remède
qu’ils employèrent pour guérir la Grèce, consista à renforcer
l’application des « 4 critères ». Il ne pouvait faire aucun bien au
patient. De fait, son état empira. Exténué de souffrances, il est
revenu, il y a six mois, implorer un ultime secours.
La réponse des institutions européennes –le
Conseil, la Commission, le Parlement, la Banque centrale- ne pouvait
plus être dilatoire. La gravité des évènements ne le permettait pas.
Elle a été donnée le 12 juillet. Elle a consisté à réaffirmer, de la
façon la plus nette, la nécessité pour la Grèce et tous les autres Etats
membres, de respecter rigoureusement les règles qui font la spécificité
de la zone euro. Apparemment, la victoire des disciples de Jean Monnet
est totale et définitive. « La zone euro est sauvée » jubilait François
Hollande le 13 juillet. Pourquoi, alors, dis-je qu’au contraire, leur
Europe est morte cette nuit là ? Parce que les dirigeants de l’Union ont
avoué par un silence on ne peut plus parlant, qu’ils ne savaient pas
comment tenir les promesses qui ont conditionné la naissance de la
monnaie unique. Ils sentent au fond d’eux-mêmes, que le contrat est
rompu. Mais ils n’arrivent à se détacher de l’utopie. Alors ils se
réfugient dans le monde abstrait des « 4 critères » pour éviter d’avoir
à répondre d’une réalité qui est en tous points le contraire de ce qui
était annoncé. Ils en viennent, par un retournement dialectique
étonnant, à expliquer que la fraternité des peuples européens est
ébranlée non pas par les méfaits de l’euro mais par l’impéritie des
Grecs. Pour qu’aucun reniement des engagements passés ne nous soit
épargné, ils transforment même le « plus de démocratie » du traité de
Maastricht en tutelle brutale sur le gouvernement d’Athènes. Ce dernier
est tenu de soumettre tous ses « projets législatifs » à ses créditeurs
étrangers avant même de les présenter à son Parlement. Je n’arrive pas à
comprendre comment un Chef d’Etat français a osé contresigner cette
clause. A-t-il perdu le souvenir honteux de Vichy ?
C’est par leurs clameurs de triomphe que nos
dirigeants reconnaissent l’échec historique de l’Europe de Jean Monnet.
Elle n’est plus qu’un poids mort que nous portons à grand peine. Je ne
sais combien de temps nos dirigeants réussiront à nous faire croire que
le 13 juillet a été non pas la nuit de son décès mais au contraire le
jour de sa santé retrouvée. L’illusion ne saurait durer bien longtemps.
Michel Pinton
Ancien député au Parlement européen
L’Europe de Jean Monnet est morte.
L’Europe de Jean Monnet est morte. Elle est passée de
vie à trépas dans la nuit du 12 au 13 juillet 2015. Je le répète,
puisque personne ne semble le savoir : l’Europe de Jean Monnet n’est
plus qu’un cadavre.
Il est donc fini, le temps où les fédéralistes
européens pouvaient affirmer que, grâce aux principes posés par leur
maître, nos nations ne cessaient de progresser vers « une union de plus
en plus étroite ». Fini le processus qui devait « créer un espace
européen de paix, de démocratie et de prospérité ». Finie l’ambition de
« promouvoir le bien-être de tous les peuples » de l’Europe. Il n’en
reste que des mots vides de toute réalité.
Comment une œuvre qu’on proclamait impérissable,
a-t-elle pu disparaître aussi soudainement ? La réponse est simple :
l’organisme dont la tête est à Bruxelles a été empoisonné. Et le plus
étonnant, c’est que « l’Union européenne » s’est administrée elle-même
le poison mortel. Il s’appelle l’euro.
A vrai dire, ceux qui auscultaient attentivement la
santé de l’Union, la savaient malade depuis longtemps, précisément
depuis qu’elle avait commencé d’introduire l’euro dans ses aliments.
Mais personne, moi compris, n’avait prévu une fin aussi bizarre, aussi
caricaturale, que celle qui s’est produite la semaine passée. Pour en
saisir le caractère paradoxal, je propose au lecteur d’examiner ce qu’a
été l’existence de l’Union depuis qu’elle s’est adonnée aux plaisirs
délétères de la monnaie unique.
L’euro a son origine dans le traité de Maastricht
(1992). Son père s’appelle François Mitterrand. Dans l’esprit du
Président français de l’époque, la nouvelle monnaie était un instrument
de politique étrangère : elle devait attacher l’Allemagne tout juste
réunifiée à la France :elle enserrerait le géant germanique dans des
liens juridiques et financiers si étroits qu’il ne pourrait plus jamais
les défaire.
La crainte inavouée de Mitterrand – celle d’une
Allemagne cherchant son destin dans un jeu de bascule entre la Russie et
l’Amérique- était mal fondée et sa parade peu crédible : on ne ligote
pas un grand peuple par le papier d’un traité ni par des procédures
monétaires. Mais elle méritait un débat politique. Il n’eut jamais lieu.
L’idée de monnaie unique fut immédiatement reprise par les disciples de
Jean Monnet et détournée de son but. Ils en firent une fin en soi. Ils
l’entourèrent d’un culte intransigeant. Sa venue serait, selon eux, un
acte historique qui marquerait l’entrée de l’Europe dans une ère de
paix, de démocratie et de prospérité, dresserait un bouclier
impénétrable contre les assauts du reste du monde et attacherait
définitivement nos vieilles nations les unes aux autres dans une unité
fraternelle. Ils proclamèrent que l’Europe ne reviendrait jamais sur un
pas en avant aussi décisif et que le traité de Maastricht n’avait donc
pas besoin de clauses de dissolution. Parmi les nombreux prophètes de
cet accomplissement de l’histoire européenne, citons Michel Rocard : «
Maastricht constitue (sic) les trois clés de l’avenir :il ouvre d’abord
sur plus de prospérité et plus d’emploi, ensuite sur plus de sécurité et
enfin sur plus de démocratie en Europe ». Je ne veux pas fatiguer le
lecteur en lui infligeant les propos non moins grandiloquents tenus en
1992 par nos dirigeants actuels, Sarkozy et Juppé, Fabius et Sapin par
exemple. Il reste à indiquer que c’est par ce genre de promesses que nos
responsables politiques arrachèrent au peuple français un consentement
réticent à l’euro (51% des suffrages).
Les institutions de Bruxelles, enthousiasmées par un
projet qui allait leur donner un pouvoir accru, le prirent alors en
mains. La Commission prépara de nouvelles directives et le Parlement
européen multiplia les « résolutions ». « Les Etats membres doivent
réunir au plus vite les conditions de création d’une union monétaire »
proclama ce dernier. Il rappela à ceux qui avaient des doutes, que « les
effets bénéfiques de l’union monétaire sur la croissance économique et
sur l’emploi seraient substantielles pour tous les Etats membres ». Je
peux attester que les rédacteurs de cette affirmation extravagante
étaient sincères.
L’enthousiasme bruxellois était si grand et les
certitudes des disciples de Jean Monnet si enracinées, que les timides
objections qui leur étaient présentées, furent balayées comme des
incongruités. J’ai participé à des commissions parlementaires qui
auditionnaient des spécialistes de la monnaie. La démonstration négative
de l’un cachait, disaient les partisans de Maastricht, la jalousie des
milieux financiers anglo-saxons ; les avertissements d’un autre, son
nationalisme dépassé ; les réserves d’un troisième, son ignorance
foncière. La principale critique qui était faite à l’euro, peut être
résumée en deux phrases : il allait placer des nations dont les vies
économiques et sociales différaient profondément, sous les décisions
uniformes d’un pouvoir monétaire centralisé. Il en résulterait
inévitablement des distorsions lesquelles aboutiraient à des tensions
insupportables. La Commission européenne, agacée, comprit qu’il ne
suffisait pas de déconsidérer les détracteurs de l’euro. Elle leur
opposa une autre théorie « scientifique » : la monnaie unique,
publia-t-elle, loin de créer des distorsions entre pays européens, sera
au contraire un facteur irrésistible de « convergence » économique et
sociale. Grâce à elle, la Grèce et l’Allemagne, la France et le
Danemark, le Portugal et la Finlande atteindront rapidement le même
niveau de vie, le même taux d’emploi, la même prospérité. L’Europe
allait s’unifier par le haut.
C’est sur toutes ces prévisions et promesses que
le projet de l’euro fut mis en oeuvre. Il me paraît indispensable de les
rappeler parce que la validité d’une politique se juge par comparaison
entre les intentions et les résultats.
Les institutions de Bruxelles, emportées par leur
élan, décrétèrent que l’adoption de l’euro était obligatoire pour tous
les Etats membres de l’Union. Quatre d’entre eux regimbèrent : la Grande
Bretagne, la Suède, le Danemark et la Grèce. La première était trop
puissante pour que la Commission pût la faire plier. Elle obtint la
dérogation qu’elle demandait (opt-out). La seconde, après avoir
longtemps traîné les pieds, finit par s’abriter derrière le résultat
négatif d’un référendum populaire (2003) pour ne pas donner son
adhésion. Le Danemark se contenta d’un compromis : il conserva sa
monnaie nationale mais l’accrocha irrévocablement à l’euro. La Grèce
était trop faible pour se voir accorder un traitement particulier.
Sommée d’adhérer « dans les meilleurs délais et ce, dans son propre
intérêt », elle s’inclina. Elle passa sous les fourches caudines des « 4
critères » auxquels tout candidat à la monnaie unique devait
satisfaire. Elle le fit avec tant de bonne grâce que le Conseil européen
tint à « féliciter la Grèce pour les résultats qu’elle a obtenus grâce à
une politique économique et financière saine » (3 mai 2000). Je rappelle
ces faits pour réfuter la légende, trop répandue aujourd’hui, d’une
Grèce si désireuse d’entrer dans la zone euro qu’elle en a forcé la
porte en truquant ses comptes publics.
Que se passa-t-il alors ? L’inévitable. Ni la
pensée de Jean Monnet, ni les décisions de la Banque centrale
européenne, ni la surveillance tatillonne de la Commission ne purent
empêcher que la Grèce demeurât une nation des Balkans, dont la
prospérité dépend beaucoup plus de ses relations avec ses voisins que de
ses liens avec le lointain Bruxelles. Son premier client est la Turquie
et son premier fournisseur, la Russie. L’Allemagne est son seul
partenaire européen de quelque importance. Encore faut-il préciser
qu’elle ne vend à Athènes que certains produits industriels et ne lui
achète à peu près rien. L’euro convient donc mal à la Grèce ; il l’isole
de son milieu naturel. Le gouvernement grec ne tarda pas à prendre
conscience du malaise économique qui en résultait. Mais, à la manière
des faibles, il n’osa pas affronter une réalité trop dure. Il choisit de
biaiser. C’est alors qu’il commença de manipuler les « 4 critères » de
conformité aux règles de la zone euro. On dit aujourd’hui que les
institutions européennes ont découvert avec stupeur, en 2010, les
tricheries grecques. C’est faux. Dès 2005, la Commission de Bruxelles se
plaignait de l’obscurité et de l’approximation des comptes publics
hellènes. Mais, sur le moment, personne n’y a attaché de l’importance.
Il y avait une raison à l’indifférence des
disciples de Jean Monnet. Pendant les sept années qui suivirent
l’introduction de l’euro (2000-2008), la réalisation de leur rêve les
avait plongés dans un état d’euphorie tel qu’ils écartèrent toutes les
nouvelles qui contrariaient leurs prédictions. Une vague de dépenses
effrénées s’étendit sur l’Europe. Aux observateurs qui gardaient la tête
froide, la croissance économique qui s’ensuivit semblait trop
artificielle pour durer. Mais, à Bruxelles et à Francfort, on choisit
d’y voir une manifestation éclatante de la prospérité annoncée.
Soudain, en 2009, une violente tempête
financière secoua la zone euro. Alors l’impensable se produisit. La
terre promise, qui semblait presque atteinte, s’évanouit comme un
mirage. Les peuples européens, stupéfaits, découvrirent un paysage tout
autre que celui décrit par les disciples de Jean Monnet. Il était sombre
et sans perspectives. Au lieu de prospérité partagée, un appauvrissement
qui frappait inégalement les peuples ; à la place d’une croissance
régulière de l’emploi, un chômage massif, particulièrement cruel aux
jeunes ; et plus encore que ces faits désastreux, la « convergence »
s’était évaporée. Une nation et une seule s’enrichissait de
l’affaiblissement de toutes les autres. C’était l’Allemagne. Le dogme
central de l’euro, si hautement proclamé par la Commission de Bruxelles
et repris par la Banque centrale européenne, était faux. Aucune des
prophéties avancées par les adeptes de la monnaie unique n’a été plus
brutalement démentie par les évènements que celle là.
La Grèce, si éloignée de Bruxelles, si isolée,
fut évidemment la victime la plus pitoyable de la chute de l’utopie.
Nulle part dans l’Union européenne, le chômage ne devint plus étendu,
l’activité plus ralentie, la divergence avec la puissante Allemagne plus
béante. Il est naturel que les appels au secours les plus désespérés
soient venus d’elle.
On aurait pu penser que les disciples de Jean
Monnet, remis de leur ivresse, prendraient les mesures réalistes qui
s’imposaient, dût leur doctrine en souffrir. Ils préférèrent s’accrocher
à leur rêve. « L’euro, c’est l’Europe et l’Europe, c’est l’euro »
affirmèrent d’une même voix Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Le remède
qu’ils employèrent pour guérir la Grèce, consista à renforcer
l’application des « 4 critères ». Il ne pouvait faire aucun bien au
patient. De fait, son état empira. Exténué de souffrances, il est
revenu, il y a six mois, implorer un ultime secours.
La réponse des institutions européennes –le
Conseil, la Commission, le Parlement, la Banque centrale- ne pouvait
plus être dilatoire. La gravité des évènements ne le permettait pas.
Elle a été donnée le 12 juillet. Elle a consisté à réaffirmer, de la
façon la plus nette, la nécessité pour la Grèce et tous les autres Etats
membres, de respecter rigoureusement les règles qui font la spécificité
de la zone euro. Apparemment, la victoire des disciples de Jean Monnet
est totale et définitive. « La zone euro est sauvée » jubilait François
Hollande le 13 juillet. Pourquoi, alors, dis-je qu’au contraire, leur
Europe est morte cette nuit là ? Parce que les dirigeants de l’Union ont
avoué par un silence on ne peut plus parlant, qu’ils ne savaient pas
comment tenir les promesses qui ont conditionné la naissance de la
monnaie unique. Ils sentent au fond d’eux-mêmes, que le contrat est
rompu. Mais ils n’arrivent à se détacher de l’utopie. Alors ils se
réfugient dans le monde abstrait des « 4 critères » pour éviter d’avoir
à répondre d’une réalité qui est en tous points le contraire de ce qui
était annoncé. Ils en viennent, par un retournement dialectique
étonnant, à expliquer que la fraternité des peuples européens est
ébranlée non pas par les méfaits de l’euro mais par l’impéritie des
Grecs. Pour qu’aucun reniement des engagements passés ne nous soit
épargné, ils transforment même le « plus de démocratie » du traité de
Maastricht en tutelle brutale sur le gouvernement d’Athènes. Ce dernier
est tenu de soumettre tous ses « projets législatifs » à ses créditeurs
étrangers avant même de les présenter à son Parlement. Je n’arrive pas à
comprendre comment un Chef d’Etat français a osé contresigner cette
clause. A-t-il perdu le souvenir honteux de Vichy ?
C’est par leurs clameurs de triomphe que nos
dirigeants reconnaissent l’échec historique de l’Europe de Jean Monnet.
Elle n’est plus qu’un poids mort que nous portons à grand peine. Je ne
sais combien de temps nos dirigeants réussiront à nous faire croire que
le 13 juillet a été non pas la nuit de son décès mais au contraire le
jour de sa santé retrouvée. L’illusion ne saurait durer bien longtemps.
Michel Pinton
Ancien député au Parlement européen
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- Fünfhundert zählten wir, doch schnell verstärkt, am Hafen angelangt,
dreitausend schon
- Goethe !?!!
- Nein, Corneille !
- Fünfhundert zählten wir, doch schnell verstärkt, am Hafen angelangt,
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