Discussion:
Le français, un instrument de distinction sociale
(trop ancien pour répondre)
Onzap
2017-04-19 20:04:06 UTC
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Orthographe : pour la fin d'un tabou français
Si l'orthographe est si complexe, c'est parce que ceux qui l'ont figée
souhaitaient en faire un instrument de distinction sociale. Il est
temps d'en finir.
PAR CHRISTOPHE BENZITOUN*, THE CONVERSATION FRANCE
09/04/2017 Le Point


L'invention de l'écriture représente une avancée technologique majeure
ayant révolutionné la pensée humaine. Elle a rendu possibles la
confection de listes et de tableaux, une moindre sollicitation de la
mémoire, l'émergence de la pensée scientifique. Pour cela, l'humain a
dû se doter d'une forme de représentation conventionnelle de la langue
par écrit. Ainsi, une réponse simple à la question posée en guise de
titre pourrait être que l'orthographe permet de transcrire, de passer
de l'oral à l'écrit. Concrètement, on utiliserait des lettres codant
des sons (pour les langues comportant un alphabet). Mais la situation
du français contemporain est très loin de cette relation directe entre
parlé et écriture.

Pour ce qui est du français, un des problèmes majeurs est que l'on
dispose de 26 lettres (héritées en grande partie de l'alphabet latin)
pour transcrire 36 sons. Pour surmonter cette difficulté, on a ajouté
des accents et combiné des lettres (par exemple, ch, gn, in). Mais, si
l'on y regarde de près, on s'aperçoit que les combinaisons de lettres
et les diacritiques transcrivent des sons qui sont déjà codés par
d'autres caractères (ph/f, au/o, ai/é, ç/s). Et que dire de ù qui n'est
utilisé que dans le mot où ? Ou bien encore de monsieur dans lequel on
et eu renvoient au même son et où le r final ne se prononce pas. En
conséquence, cela a effectivement permis de représenter tous les sons,
mais au prix d'une complexité énorme : plus d'une centaine de
possibilités pour coder 36 sons alors qu'une langue comme le finnois en
possède seulement une vingtaine.

De plus, il y a plusieurs siècles, à une époque où les rares lettrés
maîtrisaient aussi le latin, des lettres étymologiques muettes ont été
volontairement introduites en parallèle de l'évolution naturelle
calquée sur la prononciation. Et à cela on peut ajouter toutes les
règles d'orthographe grammaticale qui sont venues encore complexifier
l'ensemble (marques d'accord, conjugaison, pluriel, accord du participe
passé…). On se retrouve alors avec des cas comme le suivant où il y a
une seule marque de pluriel à l'oral (la différence de prononciation
entre le et les) pour cinq à l'écrit : Le_s_ joli_s_ petit_s_
tableau_x_ multicolore_s_. L'orthographe française est donc très peu
transparente, c'est-à-dire que le passage du français parlé au français
écrit est extrêmement complexe et difficile à prévoir à partir de
règles. Elle comporte également de nombreuses lettres muettes.

Pourtant, l'orthographe est une construction issue de choix explicites
d'un petit nombre de personnes et non d'une évolution naturelle.
L'orthographe, ce n'est pas la langue, mais seulement sa codification
écrite. En 1835, par exemple, l'Académie française a proposé et obtenu
la modification graphique de plusieurs milliers de mots, dont la
suppression du h ou la substitution de ph par f dans certains mots
comme fantaisie, flegme et trône (qui précédemment s'écrivaient
phantaisie, phlegme et thrône). Et nénufar n'est devenu «
officiellement » nénuphar qu'en 1935.

Bref, les choix d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes que ceux d'hier ou
de demain, comme le montrent ces deux extraits des Observations de
l'Académie française sur les remarques de M. de Vaugelas (1704) qui
exhibent les formes recommandées à l'époque : du parti de ceux qui
cro_yent__ et ne sont plus employ_ez_. Mais, si cela dépend de choix,
pourquoi avoir conservé une orthographe aussi compliquée ?
[L’Académie] déclare qu’elle désire suivre l’ancienne orthographe qui
distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples
femmes.

De manière assez étonnante, l'orthographe du XVIIe siècle, élaborée par
et pour les lettrés connaissant le latin, n'a pas été repensée à
l'époque de la démocratisation de la scolarité en France, période
durant laquelle l'école représentait le seul contact avec le français
pour des millions d'enfants. On a donc conservé des conventions fort
complexes et, depuis 1835, aucun changement notable n'est intervenu.

Cette situation a pour conséquence qu'aujourd'hui l'orthographe pose
des problèmes dans l'apprentissage de l'écriture et de la lecture, avec
un nombre élevé d'enfants dyslexiques ou dysorthographiques et
d'adultes en situation d'illettrisme. De plus, le français écrit est
central dans la scolarité. C'est lui qui donne accès aux autres
matières. Il est donc la cause d'une part importante de l'échec
scolaire. Par ailleurs, l'orthographe sert d'outil de sélection dans le
cadre d'examens, de concours, de recrutements professionnels, voire de
rencontres amoureuses.

Or l'aspect discriminant n'est pas, comme on pourrait le penser, un
dommage collatéral. C'est au contraire une conséquence tout à fait
voulue, comme l'atteste la célèbre citation de Mézeray (1673), membre
de l'Académie française : « [L'Académie] déclare qu'elle désire suivre
l'ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d'avec les
ignorants et les simples femmes. » Tout cela explique pourquoi, quand
on écrit en français, on a l'impression que celui-ci a été truffé de
pièges, de formes les plus éloignées que possible d'une écriture à base
de règles intuitives, à l'image de sonneur qui prend deux n et sonore
qui n'en prend qu'un.

Cette situation oblige à consacrer un temps considérable à
l'enseignement de l'orthographe du français, au détriment des autres
matières et des autres compétences langagières (savoir structurer un
texte, présenter de manière claire et ordonnée une argumentation). Et
cela pour un résultat somme toute assez modeste et qui empire dans le
temps. En comparaison, les petits Finlandais obtiennent des résultats
meilleurs que les Français en lecture pour un temps d'enseignement de
l'orthographe nettement plus faible, le finnois étant une langue
beaucoup plus transparente que le français. Dans ces conditions,
n'est-il pas temps de regarder notre orthographe avec lucidité afin de
trouver de véritables solutions ?

L'orthographe n'est pas intouchable et elle n'a pas atteint une sorte
de perfection indépassable, ce qui n'aurait aucun sens. Heureusement,
le français n'est pas une langue morte et continue d'évoluer. Il est
donc important de lancer un grand débat sur le rôle que la société
souhaite assigner à l'orthographe (outil de sélection ou moyen d'accès
facilité vers l'écrit). Cela conditionnera notre capacité à améliorer
l'apprentissage des élèves et à amplifier la diffusion du français à
l'étranger.

Le perfectionnement des méthodes d'enseignement seul ne permettra pas
d'avancées significatives. Le temps consacré à l'orthographe, aussi
important soit-il, est insuffisant et le restera si l'on continue à
enseigner sa forme actuelle. Sauf à diminuer le temps dévolu aux autres
matières, ce qui n'est pas souhaitable. Il faut donc une réflexion sur
les conventions orthographiques elles-mêmes, dont la complexité doit
être étudiée avec toute la rigueur nécessaire.

Pour qu'une grande langue comme le français puisse apporter toutes ses
richesses au plus grand nombre, pour que l'apprentissage de ces
formidables outils que sont la lecture et l'écriture ne soit plus
synonyme de supplice, il est urgent que la société s'empare de ce
sujet, sans se laisser aveugler par une conception élitiste de la
langue. Il en va de notre capacité à partager ce bien commun que
représente l'écrit, d'autant plus dans le monde contemporain où nous
n'avons jamais autant eu besoin de savoir lire et d'écrire.


*Christophe Benzitoun est enseignant-chercheur en sciences du langage,
université de Lorraine.
RVG
2017-04-20 12:26:59 UTC
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Post by Onzap
Pour ce qui est du français, un des problèmes majeurs est que l'on
dispose de 26 lettres (héritées en grande partie de l'alphabet latin)
pour transcrire 36 sons. Pour surmonter cette difficulté, on a ajouté
des accents et combiné des lettres (par exemple, ch, gn, in). Mais, si
l'on y regarde de près, on s'aperçoit que les combinaisons de lettres
et les diacritiques transcrivent des sons qui sont déjà codés par
d'autres caractères (ph/f, au/o, ai/é, ç/s). Et que dire de ù qui n'est
utilisé que dans le mot où ? Ou bien encore de monsieur dans lequel on
et eu renvoient au même son et où le r final ne se prononce pas. En
conséquence, cela a effectivement permis de représenter tous les sons,
mais au prix d'une complexité énorme : plus d'une centaine de
possibilités pour coder 36 sons alors qu'une langue comme le finnois en
possède seulement une vingtaine.
On remerciera les Bénédictins pour cette méthode de translittération,
qu'ils ont également appliquée pour le gaélique (à partir de l'alphabet
oghamique original de 78 caractères) et les langues slaves occidentales
(glagolitique, également composé de beaucoup plus de lettres que le latin).

Techniquement le français n'est qu'une variante dialectale du latin qui
a "souffert" d'être parlé par une population dominante d'origine germanique.
Le problème c'est qu'à moins de réduire le français à une sorte de
créole (ce qu'il est) on est obligé de maintenir ces surcouches pour
conserver des traces de l'étymologie.
Le français s'est toujours posé comme une possibilité par rapport aux
langues latines plus pures comme l'italien. Revendiquer la langue
française c'est aussi poser un droit d'exister de façon impure,
artificielle, acquise.
Même en anglais où une guerre peu connue est menée contre le vocabulaire
d'origine latine et française au nom d'un purisme germanique.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Purisme_linguistique_en_anglais
--
« Je ne crois plus qu’il soit possible de venir en aide à la masse. Le
peuple est trop inapte aux choses réelles, dans cette perspective, il
est bête. » Paul Klee

http://www.jamendo.com/album/161999/in-the-prison-of-your-eyes
http://bluedusk.blogspot.fr/
http://soundcloud.com/rvgronoff
http://www.toutelapoesie.com/salons/user/18908-guillaume-daquile/
Lanarcam
2017-04-20 13:36:32 UTC
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Post by RVG
Post by Onzap
Pour ce qui est du français, un des problèmes majeurs est que l'on
dispose de 26 lettres (héritées en grande partie de l'alphabet latin)
pour transcrire 36 sons. Pour surmonter cette difficulté, on a ajouté
des accents et combiné des lettres (par exemple, ch, gn, in). Mais, si
l'on y regarde de près, on s'aperçoit que les combinaisons de lettres
et les diacritiques transcrivent des sons qui sont déjà codés par
d'autres caractères (ph/f, au/o, ai/é, ç/s). Et que dire de ù qui n'est
utilisé que dans le mot où ? Ou bien encore de monsieur dans lequel on
et eu renvoient au même son et où le r final ne se prononce pas. En
conséquence, cela a effectivement permis de représenter tous les sons,
mais au prix d'une complexité énorme : plus d'une centaine de
possibilités pour coder 36 sons alors qu'une langue comme le finnois en
possède seulement une vingtaine.
On remerciera les Bénédictins pour cette méthode de translittération,
qu'ils ont également appliquée pour le gaélique (à partir de l'alphabet
oghamique original de 78 caractères) et les langues slaves occidentales
(glagolitique, également composé de beaucoup plus de lettres que le latin).
Techniquement le français n'est qu'une variante dialectale du latin qui
a "souffert" d'être parlé par une population dominante d'origine germanique.
Le problème c'est qu'à moins de réduire le français à une sorte de
créole (ce qu'il est) on est obligé de maintenir ces surcouches pour
conserver des traces de l'étymologie.
Le français s'est toujours posé comme une possibilité par rapport aux
langues latines plus pures comme l'italien. Revendiquer la langue
française c'est aussi poser un droit d'exister de façon impure,
artificielle, acquise.
Même en anglais où une guerre peu connue est menée contre le vocabulaire
d'origine latine et française au nom d'un purisme germanique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Purisme_linguistique_en_anglais
http://terrain.revues.org/3142

Où on se rend compte que le purisme linguistique a été bien
plus répandu ailleurs qu'au RU où il est resté marginal
contrairement à l'Allemagne par exemple.
Onzap
2017-04-20 18:55:35 UTC
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Post by RVG
Post by Onzap
Pour ce qui est du français, un des problèmes majeurs est que l'on
dispose de 26 lettres (héritées en grande partie de l'alphabet latin)
pour transcrire 36 sons. Pour surmonter cette difficulté, on a ajouté
des accents et combiné des lettres (par exemple, ch, gn, in). Mais, si
l'on y regarde de près, on s'aperçoit que les combinaisons de lettres
et les diacritiques transcrivent des sons qui sont déjà codés par
d'autres caractères (ph/f, au/o, ai/é, ç/s). Et que dire de ù qui n'est
utilisé que dans le mot où ? Ou bien encore de monsieur dans lequel on
et eu renvoient au même son et où le r final ne se prononce pas. En
conséquence, cela a effectivement permis de représenter tous les sons,
mais au prix d'une complexité énorme : plus d'une centaine de
possibilités pour coder 36 sons alors qu'une langue comme le finnois en
possède seulement une vingtaine.
On remerciera les Bénédictins pour cette méthode de translittération,
qu'ils ont également appliquée pour le gaélique (à partir de l'alphabet
oghamique original de 78 caractères) et les langues slaves occidentales
(glagolitique, également composé de beaucoup plus de lettres que le latin).
Techniquement le français n'est qu'une variante dialectale du latin qui
a "souffert" d'être parlé par une population dominante d'origine germanique.
L'Espagne a été dominée près de 3 siècles par les Wisigoths, l'espagnol
n'a pourtant pas une orthographe aussi touffue que le français.
Post by RVG
Le problème c'est qu'à moins de réduire le français à une sorte de
créole (ce qu'il est) on est obligé de maintenir ces surcouches pour
conserver des traces de l'étymologie.
Les traces de l'étymologie (pléonasme) ne sont pas à conserver coûte
que coûte. Les gens raisonnables font du ménage sans état d'âme.
Post by RVG
Le français s'est toujours posé comme une possibilité par rapport aux
langues latines plus pures comme l'italien. Revendiquer la langue
française c'est aussi poser un droit d'exister de façon impure,
artificielle, acquise.
Même en anglais où une guerre peu connue est menée contre le vocabulaire
d'origine latine et française au nom d'un purisme germanique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Purisme_linguistique_en_anglais
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